2018
Un livre réalisé à partir de la série de photos peintes : Villiers-le-Bel
Texte de Jean-François Bouthors, éditeur et écrivain.
LE SENS D’UNE ESCAPADE
C’est l’œil en coin que Catherine Van den Steen s’est promenée dans Villiers-le-Bel en 2014 et 2015, pour capter les espaces, les lignes, les surfaces, les personnes. Son regard s’est focalisé sur ce que les urbanistes des années cinquante et soixante du siècle dernier avaient appelé « les grands ensembles ». Peintre et photographe, elle a conjugué le pinceau et l’objectif, la gouache et le noir et blanc, dans un jeu qui rejoint les mascarades de la Renaissance, où ce qui recouvre a pour effet de transfigurer, afin de retenir l’attention. Ce qui apparaît, c’est bien ce qui est présent, mais sous des modalités d’observation altérées par l’application délibérée de la couleur. Et il n’est pas fortuit que ce soit celle du ciel qui vienne se poser dans l’image, comme un éclair, une irradiation, une trouée, une profondeur, une ligne en creux, ou comme un voile, un écran, une épaisseur. Le bleu que l’artiste, avec la liberté de son imaginaire, est venu déposer sur un mur, sur un piquet, sur une barrière, sur un arbre, sur une robe, sur un gilet, transperce l’épaisseur lourde du réel par sa force poétique et ouvre la possibilité de la contemplation, là où l’observation plate pourrait conclure à l’accablement, à la lassitude, à la banalité.
Revenant sur ses seize compositions, l’artiste a entrepris d’en isoler des détails en resserrant fortement le cadrage. Une rythmique se dessine comme la pulsation d’un espace où apparaissent et disparaissent, de temps à autre, des silhouettes qui nous rappellent que les « grands ensembles » sont habités, même si les êtres humains semblent ne faire que passer dans des jeux de lignes et de volumes dont les proportions les dépassent, les enserrent ou les enveloppent.
Nul reportage ici, nulle sociologie, mais une manière de subvertir le réel pour le transcender ou plutôt – paradoxalement, puisque cela passe par l’opération du recadrage –, de le déborder, de lui permettre de se dépasser lui-même dans le regard porté sur lui. La forme même de l’objet, non pas des pages qui se tournent, mais une bande de quarante-huit images, pliée en accordéon, invite à une lecture à la fois scandée et continue. Le pli suggère le sautillement joyeux des enfants, le vol du papillon, la musique des guinguettes de naguère, le zouk des banlieues, une sorte de rap bleu…
C’est donc une sortie par le jeu que suggère l’artiste, en offrant au regard une succession d’images capables de susciter chez l’habitant du grand ensemble beauvillésois un véritable étonnement, voire un émerveillement. Oui, chacun demeure, sans toujours le savoir, dans un lieu doué de puissance poétique dès lors qu’un artiste vient y ouvrir la possibilité d’un regard décalé et décalant.
La simplicité de la démarche en assure la portée « populaire ». Cette culture – puisque culture il y a, au sens d’une mise en forme, d’un ajout de la sensibilité, d’une intelligence de l’œil – est celle qui rend au peuple la dignité et la joie d’être lui-même. Telle est bien l’escapade qui donne le titre à ce livre d’artiste : une échappée par le beau, étant entendu que le beau n’existe que sous le signe de la liberté d’inventer la lumière qui éclaire notre réalité sous un jour neuf…