Exposition
ENTRELACS
Août 2024
Catherine Van den Steen : la poussée du monde.
par Jean-François Bouthors
Depuis qu’elle est revenue au dessin et à la peinture après de longs détours dus à une allergie qui l’a contrainte à renoncer à la technique à l’huile qu’elle maîtrisait parfaitement, Catherine Van den Steen s’est donné pour sujet le vivant, la poussée même de la vie qui refuse de céder du terrain à la mort. Elle s’est choisi pour guide Pieter Paul Rubens, non pas pour peindre « à la manière de », ce qui n’aurait pas de sens, mais parce que c’est bien cette puissance de la vie – et sa dimension tragique, ce qui ne veut pas dire vaincue par la mort, mais dans le combat – que célèbre le maître flamand. Ainsi, sa Chute d’enfer des damnés (1620) a-t-elle provoqué d’abord ses Portraits d’exil (2021), véritable célébration d’hommes et de femmes qui se sont arrachés à un destin mortifère. Volonté de peindre que nul n’est voué à la chute.
Découvrant dans l’œuvre même de Rubens des lignes et des courants de forces qu’elle pouvait observer dans la nature, et en particulier dans le végétal, Catherine Van den Steen, a poursuivi sa démarche par un travail singulier sur le paysage (voir sa série Magnac-Laval [2021-2023]), faisant apparaître des percées, des profondeurs, des dynamiques, des imbrications, des obscurités, de l’insaisissable. Bref, tout ce qui relève du Trieb (pour reprendre un mot cher à Freud et au philosophe Jean-Luc Nancy), de la poussée fondamentale, originelle de l’être en tant qu’il est devenir.
Dans un temps où nous sommes pris entre la futilité et le divertissement, d’un côté, et les multiples perversités que suscite l’angoisse de la catastrophe, de l’autre, Catherine Van den Steen propose de contempler ce Trieb, cette poussée de la vie qui combat la mort, qui est le combat contre la mort.
Contempler, c’est-à-dire s’y exposer pour s’en nourrir et combattre soi-même. Pour trouver dans la contemplation de la nature et du monde, si troublant soit-il, un point d’appui indispensable afin de se mettre dans le mouvement de cette puissance de la vie qui ne cesse de se déployer de la manière parfois la plus paradoxale, dans une complexité infinie (comme en témoigne sa série Jardin en friche [2021-2022]).
Ce travail sur la nature (au sens étymologique du mot : ce qui pousse et jaillit) elle en dévoile en août 2024 la suite à Saint-Briac, avec la Galerie La Boucherie. Pendant plus d’un an, elle est venue, à intervalles réguliers, prendre le pouls (la pulsion) d’un bois totalement en friche, traversé par un petit courant d’eau, afin d’immerger le spectateur dans ses entrelacs, ses ombres et ses lumières, pour se mettre à l’écoute, en ce minuscule « petit bout de globe » (dixit l’hôte du lieu), de cela même qui fait que le monde existe.
Jean François BOUTHORS – Journaliste – Éditeur et écrivain.