Dans la lumière du monde

Exposition – Cergy

2007

Texte du catalogue par Catherine Chalier, philosophe et écrivain.

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EN PROXIMITE DE REGARD

Que savons-nous du secret du commencement ? Comment approcher l’immémorial et en pressentir la clarté imminente, encore promise, alors que nos vies, si durablement requises par la tenace brutalité des choses et des actes, des pensées et des paroles, ne perçoivent souvent que la face sombre et terrible de la création ? Comment le faire, précisément, sans esquiver le long tourment qui saisit, inexpugnable et menaçant, face aux noces tragiques avec le désespoir auxquelles sont condamnées tant de personnes ?

C’est bien parce que le regard de Catherine Van den Steen perçoit ces ténèbres qui couvrent le monde d’une opacité si lourde pour des épaules humaines, qu’elle reste si intensément vouée au qui-vive d’une attention, patiente et humble, profondément aimante et décisivement joyeuse, aux minutes, furtives et bouleversantes, où cet immémorial vient vers nous. En effet, que ce soit par la grâce inopinée de la lumière entrevue, avec ferveur, dans un pan de ciel, ou au sein du mouvement serein des eaux ; au plus caché des arbres qui se dressent, fiers et magnifiques ; ou encore dans le petit corps des hommes et des femmes qui, dans cette immensité et en toute solitude souvent, vont à leurs besognes ou à leurs distractions, cet immémorial s’adresse encore à nous.

En ces instants, la sombre rigueur du chaos et de la nuit recule alors sous la force d’une parole et d’une lumière premières, celles dont la peinture de Catherine Van den Steen ne cesse de chercher les traces. La lumière du commencement, celle dont les sages juifs disent qu’elle permet de voir d’un bout du monde à l’autre, n’aurait pas disparu mais il faudrait toute l’acuité, tout l’étonnement et tout le talent du peintre, pour aider les regards humains, si souvent prisonniers de leurs intérêts ou de leurs passions, à la percevoir.

Cette lumière, telle en tout cas qu’elle se donne dans les tableaux présentés, n’efface pas le chagrin des hommes, mais, plus intimement et plus hautement à la fois, elle leur permet de percevoir, avec lui, malgré lui, ou encore à travers lui, une splendeur qui parle à leur âme et à leur sensibilité, de ce qui l’excède et qui ne cesse de les envoyer vers la vie. Mais si cette lumière garde une telle puissance, c’est parce qu’elle seule peut faire voir la clarté, fragile et humble, lovée dans la simplicité de ce qui est là : dans le frémissement de l’eau, dans la solidité de l’arbre, ou encore dans le libre jeu de ses branches. Or, en ces instants, le frémissement d’espoir qui monte parfois en soi, en regardant tout cela, la surprise et la gratitude de sentir l’étreinte de l’angoisse se défaire, viennent de très loin. Ces émotions, si souvent en avance sur la réflexion, rappellent aux hommes et aux femmes happés, corps et âme, par l’évolution impressionnante de la technique, ce qu’ils perdent lorsqu’ils se trouvent coupés du passé commun à tout ce qui vit.

Faut-il alors quitter les villes, détourner le regard de leurs froides constructions, de leurs pylônes qui se dressent dans des cieux nuageux, amers d’ignorer la sérénité des arbres et d’être voués au bitume plutôt qu’à l’union vivante de la terre et de l’air ? Faut-il s’empresser de sortir des souterrains des gares, de leurs labyrinthes où la chaîne du temps se presse de plus en plus ? Le regard du peintre incite plutôt à s’attarder, dans ces rues, dans ces gares et sur ces routes, car il y perçoit encore les éclats, si proches, si tendres aussi pour qui s’en émerveille, de la lumière première, comme si elle naissait, à l’instant même, sous l’effet d’un verbe inouï qui déjà se retire, laissant ce monde à ceux qui y vivent et qui doivent le bâtir. Là où beaucoup passent, déterminés à aller vite, à fuir les espaces inhospitaliers, suffocants d’un trop de matière, qui relient, souterrainement, anonymement, un lieu à un autre, la lumière s’est pourtant frayé un chemin.

Regarder, grâce au pinceau de Catherine Van den Steen, le sol si lumineux de ce hall de gare, un sol dont on ne sait plus très bien s’il est eau ou ciel, ou encore la coupe trop sage de ces arbres le long d’une route sans imprévu, nous bouleverse. Ce sol, ces arbres ressemblent à une promesse de consolation, même pour ces humains, courageux dans leur fatigue, qui vont et viennent sans oser y penser et sans l’attendre. Dans ce hall aussi, la lumière est entrée, alors que ces silhouettes, semble-t-il, privées de peine et de joie, passent indifférentes, ou s’adossent un instant à une barrière, inattentives à la clarté, pourtant là, si proche, si chaude.

Mais cette peinture, bien sûr, n’accuse personne, au contraire, elle plaide, à l’intention de tous, la cause d’une origine, lumineuse et bonne, encore à portée de perception. Elle sait en effet que sa beauté vivante instruit du plus essentiel, de ce qui, sans jamais rendre vaines les tâches humaines, leur donne l’orientation dont l’absence fait tant souffrir. Elle montre, à ceux qui ne voient pas ou qui voient mal, que nul lieu n’est vide de cette beauté.