Exposition
ENTRELACS
Août 2024
Rencontre avec Catherine Van den Steen
par Ghislaine Eonnet Dupuy,
Le Covid bat son plein! La porte de la galerie est restée ouverte mais une chaise en bloque l’accès puisque les directives sont formelles: pas d’entrée de lieux dits « publics », même masqué! Pourtant, je ne peux concevoir l’idée d’accueillir des visiteurs sur le trottoir et propose donc à un couple visiblement curieux de ce que j’expose, de rentrer dans la galerie.
Dociles, nous gardons nos masques et commençons à parler de çi et de ça. Assez rapidement nous prenons conscience que nous évoluons dans le même monde. L’interdit nous oblige à aller vite, nous ne sommes pas à l’abri d’une ronde de police ou de quelques mouchards…
Elle est artiste peintre et lui journaliste.
Je lui demande à quel endroit se trouve son atelier. Cette question, qui semble d’une grande banalité, j’aime la poser car mon imagination part immédiatement sur le lieu dont on me donne l’adresse, même si je ne le connais pas. Je suis faite ainsi, je voyage beaucoup par procuration! Elle me réponds qu’elle vient d’investir un nouvel atelier dans une petite commune à côté d’Anet, à Sorel Moussel.
Mon sang ne fait qu’un tour, mes jambes se ramollissent et je cherche une chaise pour m’assoir… Sorel Moussel, là où nous avons acheté l’Orangerie d’un château, Vincent et moi dans les années 80, dans laquelle nous nous sommes mariés, où notre fils a fait ses premiers pas, que nous avons imaginés en centre d’art ou salle de spectacle ou de bal et le refuge de tous nos week-end car nous habitions Montmartre à l’époque…Lieu de fêtes et de rencontres…
« Mais où dans Sorel Moussel? ». Dans l’ancienne usine de papier Firmin Didot le long de l’Eure, sur la route de Croth, sur le site d’un ancien moulin.
Cette papeterie, nous l’avions visitée de fond en comble. Désaffectée elle commençait à tomber en ruine et nous avons élaboré 1000 projets de rénovation,
les projets nourrissant notre imaginaire de jeune couple.
Une fois remise de ma surprise, je lui demande de me montrer son travail sur internet, la simple géolocalisation de son atelier n’étant pas suffisante….
bien que terriblement surprenante et troublante.
J’étais prête à mettre de côté mon esprit critique et à trouver son travail intéressant quelqu’il soit mais, ce jour là, les planètes étaient alignées et je découvrais une peinture sensible, lumineuse, forte, narrative, des histoires de paysages, de végétaux, de fougères et de haies, d’arbres et de portraits. Tout un univers généreux, vivants, harmonieux.…
Elle cochait toutes les cases!! J’étais emballée!
Je finis par lui demander: « Comment vous appelez-vous? » Elle me répondit: « Catherine Van den Steen ».
Naissance d’un projet…
Le rendez-vous est pris, j’irai voir Catherine dans son atelier à Sorel Moussel.
Les restrictions disparaissant petit à petit, la circulation peut reprendre. Je me cale donc dans ma « limousine » direction Paris. A l’aller, coffre plein d’oeuvres à rendre aux artistes et au retour, coffre plein de nouvelles oeuvres à exposer dans la galerie. A chaque fois ces voyages me donnent plein d’énergie et l’envie de continuer ce métier de saltimbanques.
Entre Paris et Sorel-Moussel, je peux faire le trajet les yeux fermés.
Arrivée devant l’ancienne papeterie, je reconnais la façade en brique rouge très joliment restaurée par son nouveau propriétaire. L’atelier de Catherine se trouve au premier étage, dans un bel espace lumineux avec une vue sur l’Eure dont le débit est assez rapide à cet endroit.
Je suis tout de suite saisie par deux grandes toiles accrochés au mur représentant l’une et l’autre un entrelacs de fougères, de lierres et de ronces, sans ciel, comme si son regard avait découpé un morceau de haies sauvages. La lumière, la couleur, la composition, la profondeur révélés par la perfection de son dessin et la qualité de sa peinture montre à quel point la nature est puissante lorsqu’elle n’est plus contrôlée par la main de « l’homme »…tout y est!
Le plongeon dans ce bain de verdure chaotique et épineux résonne dans ma tête, parle à ma mémoire et fait tout à coup apparaître des images du petit bois de La Gourdoire dans la vallée en friche que nous possédons Vincent et moi en Bretagne : là-bas, la nature a repris ses droits depuis de nombreuses années.
Je lui en parle, lui montre des photos. Tout en lui racontant l’histoire du lieu, je lui propose de venir le découvrir. « Pourquoi pas! », me dit-elle.
Catherine viendra dans cette vallée à chaque saison pendant l’année 2023 et le petit bois de la Gourdoire deviendra son lieu d’inspiration. Elle brave le chaos, empreinte les chemins frayés par les animaux, chevreuils, sangliers…, s’habille tel un scaphandrier pour éviter que les tics ne l’assaillent, s’imprègne, écoute, ressent et dessine.
De retour à l’atelier, elle choisit les ramifications de l’arbre comme principales sujet, la branche qui renait de la chute d’un tronc, qui pousse en ligne droite vers la lumière, verticales puissantes au cœur de la friche. Elle se passionne pour la forêt primaire, lit Francis Hallé et retourne à son tableau convaincu par la force du vivant, par la force de la racine qui donne la vie. Ses tableaux rendent hommage à cette nature généreuse, sauvage et énigmatique.
Par son travail, son talent et le temps de l’observation, Catherine réussit à extraire de ce chaos des bouquets d’arbres et de branches, comme un lancer de Mikado vers le ciel. Mars 2024
Ghislaine Eonnet Dupuy, directrice de la galerie La Boucherie à Saint Briac